Crise ivoirienne Soumalia Touré, histoire tragique d’un jeune plein de vie brisé par la détention
Il était jeune, souriant, engagé. Soumalia Touré avait 37 ans en 2010, lorsqu’il a été happé par la spirale infernale de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire.

Quinze années plus tard, il en a 52. Il est sorti de prison, dit-on, mais nul ne sait où il est. Certains le disent en exil. D’autres, disparus. À Abobo, son quartier d’origine, les anciens chuchotent son nom comme une prière douloureuse. Soumalia Touré, c’est aujourd’hui une figure invisible d’un drame silencieux : celui de milliers d’ivoiriens broyés par l’arbitraire.
Le 13 décembre 2010, au lendemain des affrontements meurtriers entre les partisans de Laurent Gbagbo et ceux d’Alassane Ouattara, Soumalia est arrêté à son domicile sans mandat. Accusé de sympathie pro-Gbagbo, il est battu, insulté, puis transféré d’un camp militaire à un autre avant d’atterrir à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA). Pendant trois mois, pas de visite, pas de procédure, pas d’acte d’accusation. Rien. Juste une détention préventive prolongée comme tant d'autres.
Un rapport du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), publié en juin 2024, révélait qu’à cette date, 12 056 détenus – soit plus de la moitié des 23 515 prisonniers du pays – n’avaient toujours pas été jugés. Derrière ces statistiques, il y a des tragédies humaines comme celle de Soumalia. Mais ce n’est pas tant son calvaire personnel qui le détruit que celui de son grand frère, Ismaël Touré.
Ismaël, son aîné de sept ans, a été arrêté le même jour. Ils furent séparés dès les premières heures de leur détention. À la MACA, des semaines plus tard, un agent de sécurité glisse à Soumalia cette phrase qui résonne encore dans ses cauchemars : « Ton frère est mort. Ils l’ont tué à Yopougon. »
Il supplie, cherche, demande des preuves. Rien. Deux agents pénitentiaires, restés anonymes, lui révèlent plus tard l’horreur : Ismaël aurait été torturé, affamé, violé, avant de succomber à ses blessures. Son corps, comme d’autres, aurait été incinéré ou enterré clandestinement. Pas de sépulture. Pas de reconnaissance. Juste une disparition orchestrée dans le silence de l’État.
« Je veux juste que ses enfants sachent qu’il n’était pas un criminel », confie Soumalia, la voix éteinte. « Il était père, frère, époux. Pas un rebelle. Pas un voleur. Une victime. »
Depuis la vague récente de libérations de prisonniers annoncée en 2025, Soumalia aurait été relâché. Certains affirment qu’il vit reclus à l’étranger, fuyant d’éventuelles représailles. Mais ses proches n’ont aucune nouvelle. Et l’homme qui est sorti de prison, avec une barbe grise, le dos voûté, et le regard vide, n’est plus celui qu’ils ont connu.
À ceux qui parlent de réconciliation, il oppose un sourire amer. Car comment se réconcilier avec un pays qui a effacé votre frère ? Avec une justice qui n’a jamais voulu savoir ? Avec une mémoire collective qui préfère l’oubli au pardon ?
L’histoire de Soumalia Touré, c’est celle d’un espoir fracassé, d’un homme brisé, et d’un pays qui, malgré les discours, peine à panser ses plaies les plus profondes.
Elyse Konan






